Entrevue

L’intelligence artificielle : les femmes au cŒur de l’innovation

L’intelligence artificielle :

les femmes

au cŒur de l’innovation

En marge de la Journée Internationale des Droits des Femmes, le Comité Numérique de la CCI Française au Canada a organisé en collaboration avec le CEIM (Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal) un 6@8 sur le thème de « l’Intelligence Artificielle : les Femmes au cœur de l’Innovation ».

Les cinq panellistes ont répondu aux questions suivantes relatives à  la place de la femme au sein du secteur technologie et de l’innovation.

Que peut-on faire pour encourager et accompagner les femmes à s’intéresser à des carrières à forte prédominance masculine, comme le secteur de la technologie  ?

Cassie L. Rhéaume : Encourager la présence de modèles féminins: il est difficile d’avoir envie de devenir quelqu’un que l’on ne connaît pas ou de vouloir faire ce qui ne nous a jamais été présenté. Il y a un gros billet cognitif auprès des femmes et des filles qui stipulent que la technologie ne s’adresse pas à elles. Il est donc difficile de se projeter dans ce domaine. Il faut donc mettre l’accent sur l’éducation, la socialisation dès un jeune âge, car les filles se calquent sur ce qu’on est habitué de leur faire voir, de leur dire. Il est impossible de leur demander de prendre une trajectoire totalement différente si personne dans leur entourage n’a déjà pris cette voie, d’où l’importance des modèles.

Negar Ghourchian : Le meilleur moyen de motiver les femmes de convoiter des hauts postes c’est de se concentrer sur leur éducation et leurs capacités. Il faut également éduquer les hommes, en leur montrant que l’on est tous égaux. Nous avons une éducation et des capacités similaires. S’ils voient de plus en plus de femmes avec eux dans les amphithéâtres universitaires et acquérir la même expertise qu’eux, ils s’habitueront à collaborer avec des femmes de manière égale et sans préjuger.

Qu’est-ce qui vous a motivé à travailler dans le domaine de la technologie et de l’innovation?

Cassie L. Rhéaume : Cette envie m’est arrivée beaucoup plus tard dans ma carrière. J’ai un parcours en communication, j’avais envie de changer le monde et je me suis rendue compte que ce n’était pas en agence de publicité que cela se passait. J’ai donc appris à coder.

Valérie Bécaert : Quand j’étais jeune, j’ai toujours fait ce qu’on me disait de ne pas faire, je suis donc allée en ingénierie.

Negar Ghourchian : J’ai commencé mes études en ingénierie dès le début. Au départ, c’était le plus gros défi de ma vie : savoir comment j’allais évoluer avec le reste des personnes de mon domaine, qui sont pour la majorité des hommes.

Marise Bonenfant : C’est un peu par accident, à l’origine j’étais en science de l’information. Je me suis rendu compte que, les défis que l’on avait, pouvaient être résolus autrement. Je travaille donc très fort à optimiser mon travail.

Julie Hubert : Je me suis lancée dans l’IA, car c’était la meilleure façon d’aborder la problématique que je voulais adresser. En 2011 et toujours un peu maintenant, la recherche d’emploi est un processus complexe et long, résultat d’une incapacité humaine à gérer l’ensemble des données générées par le processus. La seule façon de retirer ce facteur humain (exemple: les discriminations) était d’aller chercher l’IA qui va prendre l’ensemble des décisions qui freinaient et amenait de l’inefficacité dans ce processus. Nous avons donc utilisé l’IA pour régler un problème de société.

L’IA peut-elle aider l’entrepreneuriat féminin, et si oui, à quel niveau?

Valérie Bécaert : Je vois des opportunités, beaucoup d’opportunités. En ce moment, toutes les questions d’IA sont clairement adressées vers des intérêts masculins. Le champ est encore complètement libre pour des intérêts plus féminins. Il est facile de s’intéresser à l’IA, car il y a énormément de documentation, de littérature, d’organisations, de cours en ligne disponibles. Tous les moyens sont mis-en-place pour comprendre l’IA, comprendre ce que cela peut faire, et de trouver une idée d’entrepreneuriat. 

Cassie L. Rhéaume : C’est une question d’opportunité, et cela rejoint également le segment de l’éducation. Il faut donc présenter aux femmes les possibilités que l’IA représente, les inspirer à s’investir dans ce milieu, et de ne pas se sentir mis à l’écart. Les femmes doivent être le plus outillées possible pour mettre en place des ressources qui leurs sont dédiées pour qu’elles puissent s’intéresser et entreprendre dans le domaine de l’IA. 

Valérie Bécaert : Il y a peut être un élément qui peut être plus rébarbatif, c’est une technologie qui est encore très incertaine, pas très connue, et risquée. Les femmes peuvent être moins portées à se lancer sur une solution qui va représenter un risque: il y a beaucoup d’investissement, de temps, d’énergie dépensées et on n’est pas certain nécessairement des aboutissants. Il faut être à l’aise avec les chiffres, mais c’est clair que dans un apprentissage, il faut toujours avoir à répondre a une question X, Y, Z, mais qui sera toujours bénéfique pour sa valeur qui créée. Il est difficile de se lancer dans des défis avec plus de 50% de risques d’échecs commerciaux.

Julie Hubert : Une opportunité de plus, un domaine de plus, une façon d’aller régler des problèmes avec une autre solution qui est différente, qui est plus poussée. Je vois cela comme une nouvelle source opportunités pour les femmes. Oui, il y a des risques, mais il y en a dans n’importe quel domaine professionnel également. Quand on vit dans l’incertitude, surtout dans le milieu de la technologie qui est complexe, cela peut faire peur, mais je vois plus ça comme du positif plus qu’autre chose. 

Comment la vision et la contribution des Femmes en IA peuvent être déterminantes pour son bon développement ?

Julie Hubert : Peu importe l’industrie, les femmes apportent une nouvelle vision des choses. Une vision humaine, une façon différente de voir les problèmes. Je pense que l’industrie va bénéficier d’avoir la contribution de plus de femmes. On commence à peine à comprendre cette problématique de l’IA, la perception des femmes sera donc cruciale pour avancer la recherche. 

Valérie Bécaert : C’est important d’avoir de la diversité, car on fait des algorithmes. On dit que la machine est objective, mais ce n’est pas vrai. Les algorithmes sont créés par des personnes et ils prennent des décisions mais il faut avoir les ressources pour y arriver. Il y aussi le fait que cela demande une équipe pluridisciplinaire, énormément de collaborations, pour arriver à faire fonctionner les choses, et c’est vraiment la force des femmes. Le travail collaboratif, je le vois, pour les femmes c’est naturel. 

Negar Ghourchian : Les femmes ont une perception professionnelle propre. Et notre objectif est de connecter la technologie aux besoins humains. Il est donc primordial d’avoir également leur vision. Nos données sont récoltées au sein de l’ensemble de la population, incluant les femmes, il est donc nécessaire d’intégrer les femmes dans l’analyse et la compréhension de ces données.

Selon vos expériences en IA, quelles sont les deux ou trois principales erreurs à ne pas commettre pour un(e) entrepreneur(e) qui décide de se lancer dans ce domaine d’expertise ?

Marise Bonenfant : Il y a beaucoup d’attention autour de l’IA, mais on oublie souvent que derrière, c’est des mathématiques sur des données. L’IA n’est pas une intelligence dotée d’une conscience : ce n’est pas de la magie. S’il n’y a pas de données, on ne peut rien faire, et sans données il ne peut y avoir d’infrastructures viables.

Julie Hubert : Il y a beaucoup de choses superbes qui se font en technologie & IA, mais il n’y a pas assez de choses « applicables réellement » dans le marché. En recrutement, on peut faire beaucoup de choses d’un point de vue technologie, mais si ce n’est pas connecté à un besoin cela ne marche pas. Il faut également que le marché cible puisse être capable d’adapter les nouveaux produits grâce à une meilleure compréhension et l’éducation. Ce n’est pas parce qu’on a la technologie la plus innovante qu’elle va nécessairement se vendre. Il y a donc tout un travail à faire par rapport à ça. 

Cassie L. Rhéaume : Il faut aussi se poser les bonnes questions car on peut faire dire aux chiffres n’importe quoi. Il faut être capable de savoir lire des données, d’accepter de retourner à la planche à dessin, puis de se poser les bonnes questions si on veut réellement innover et juste ne pas dire aux chiffres la direction qu’on en a envie qu’ils prennent. On induit nos billets, notre vécu, nos connaissances du milieu d’affaires, dans le secteur dans lequel on entreprend. Quand on innove ce n’est pas juste avec la technologie c’est aussi au niveau des découvertes que l’on peut faire. Il faut être ouvert et assez humble par rapport à ça. 

Marise Bonenfant : Beaucoup d’étudiants veulent se lancer en entrepreneuriat, mais beaucoup ne savent réellement pas ce que c’est d’entreprendre. Ce n’est pas juste un travaille, la personne qui se lance porte le tout, trouve le financement et doit trouver un partenaire de confiance. Il faut connaitre la globalité de l’entrepreneuriat pour pouvoir pleinement se développer.

Comment voyez-vous l’encadrement de l’IA afin d’éviter les dérives ?

Negar Ghourchian : On me pose souvent cette question. Les gens sont généralement suspicieux sur notre utilisation de leurs données : est-ce que leur vie privée est en danger, qui a accès à mes données, est-ce que vous nous surveillez ? Je réponds toujours : vous êtes observés juste par le fait d’avoir un téléphone intelligent et par énormément d’autres sources. 
L’IA est comme les autres technologies : elle peut être utilisée à bon escient ou bien il peut avoir des abus. Il faut donc se focaliser sur les aspects positifs que nous apportent l’IA et comment elle peut nous outiller pour mieux comprendre les comportements, les besoins humains, voir même créer une IA qui pourrait contribuer à la protection des données privées.

Valérie Bécaert : Il existe beaucoup de domaines d’expertises dans l’IA et peu de personnes le savent. Il y a le développement de l’IA, mais aussi le développement d’une étique de l’IA ou sur une meilleure utilisation sécurisée de l’IA. Il est essentiel d’améliorer le système éducatif qui pourrait sensibiliser le grand public des abus et apprendre à utiliser l’IA correctement. Les universités jouent un rôle clé dans ces domaines.  

Julie Hubert : Il va y avoir des évènements et comportements qui vont engendrer des abus et dommages, c’est certain. Mais le bon côté est que ça va faire changer les choses. En conséquence il y aura une période d’adaptation et une correction naturelle qui finira par aboutir à une stabilité de l’utilisation de cette technologie.

Commanditaires: Institut Esthederm Canada, Investissement Québec, Norton Rose Fulbright Canada, et Raymond Chabot Grant Thornton ; Partenaire : CEIM

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CASSIE L. RÉHAUME

Chapter Lead, Canada
Learning Code

VALÉRIE BÉCAERT

Directrice du groupe de recherche Element AI

MARISE BONENFANT

VP, Directrice Technique 

et Co-Fondatrice de Myelin

NEGAR GHOURCHIAN

Senior Data Scientist de
Aerial Technologies

JULIE HUBERT

Présidente et Co-Fondatrice de Workland

ENTREVUE ET RÉDACTION

Nina Goldstein
Coordonnatrice Communications – Marketing, CCIFC

Clothilde N’Dri
Responsable Communications – Marketing, CCIFC

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